Hamlet
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Shakespeare accompagne Peter Brook depuis de longues années. En 1955, il monte Titus Andonicus à Londres, puis il assure la direction de Royal Shakespeare Theater à Stratford-on-Avon. En 1973, il ouvre le théâtre des Bouffes du Nord avec Timon d’Athènes, puis monte en 1990 La Tempête avec l’acteur noir Sotigui Kouyaté. Au cinéma, il réalise en 1969 Le Roi Lear, et dans ses écrits se retrouve toujours la présence de Shakespeare.
Avec Hamlet, Peter Brook unit sa passion pour Shakespeare et deux domaines qu’il explore depuis de nombreuses années : le théâtre et le cinéma. Peter Brook filme sa mise en scène de la pièce représentée aux Bouffes du Nord pour le Festival d’automne 2000. Grâce à cette réalisation, Peter Brook propose une lecture personnelle de cette tragédie. Il écarte certaines scènes, restreint le nombre des personnages et ainsi resserre l’action autour du personnage de Hamlet. Peter Brook a choisi pour ce rôle titre, le jeune comédien noir américain Adrian Lester qui renouvelle l’approche du personnage et fait naître avec finesse un Hamlet tour à tour troublé, sensible, puissant et violent dans sa confrontation avec la vengeance du père assassiné. Cette adaptation présente une lecture multiculturelle de la pièce et crée une mosaïque subtile aux accents indiens, japonais pour donner vie au texte anglais. Le choix des comédiens internationaux fait résonner le destin de Hamlet par-delà le royaume danois et pose la tragédie dans sa vraie dimension universelle.
L’intérêt de cette réalisation réside aussi dans le fait que Peter Brook filme lui-même sa mise en scène, ce qui soulève la question du jeu des regards à la fois de l’homme de théâtre et le cinéaste. Ce travail de l’image est un des axes de réflexion qui pourrait constituer une nouvelle approche de la représentation de la tragédie et offrir l’opportunité de présenter à des élèves de seconde un travail artistique complet en prolongement de l’étude de la tragédie, du rôle essentiel d’un metteur en scène de théâtre et des significations de l’image.
Brook par Brook, portrait intime, proposé sur Arte le lendemain de The Tragedy of Hamlet, est un émouvant film-confidence réalisé par le propre fils de Peter Brook, Simon, jeune cinéaste. Celui-ci ne se contente jamais d’un récit de la famille strictement biographique, mais il cherche à capter par petites touches cocasses et graves tout ensemble, et sans aucun discours théorique pesant, ce qui fait l’essence de la quête paternelle : un quête de vie, de vérité, bien au-delà d’une « simple » quête de théâtre.
Alors qu’il n’avait jamais accepté qu’on le filme en répétitions, on le voit travailler l’improvisation avec quelques-uns de ses plus vieux complices.
La démarche
The Tragedy of Hamlet
[Français, anglais, lycée.]
Une lecture préalable de la pièce est nécessaire pour que les élèves puissent mieux suivre la pièce en anglais et comprendre le travail d’adaptation.
Le travail d’adaptation de Peter Brook
Demander aux élèves de repérer les coupures effectuées et définir en quoi ces choix participent à la lecture de la pièce proposée par Peter Brook. Souligner ainsi la volonté de resserrer l’action autour d’Hamlet, jeune prince découvrant les perfidies du monde.
Mettre l’accent sur quelques passages. La tirade d’Hamlet placée en prologue : en quoi constitue-t-elle une problématique intéressante ? L’absence des premières apparitions du spectre donne ainsi une place particulière au surnaturel. En quoi ce parti pris est-il signifiant ? Quel aspect du spectre est ainsi mis en valeur (importance du père et de la vengeance) ?
La place accordée à la représentation théâtrale est réduite : quelle fonction assure-t-elle dans l’action dramatique ? Le théâtre dans le théâtre auquel Shakespeare accordait pourtant une place importante est limité, mais le jeu parcourt la pièce sous des formes différentes : le simulacre de la folie, les faux-semblants, le mensonge. On pourra construire un axe de réflexion autour du personnage d’Hamlet : quand simule-t-il la folie ? avec qui ? pourquoi ? quand est-il sincère ? Étudier sa relation avec Ophélia.
Une représentation internationale
La distribution. Quel enrichissement apporte à la tragédie les origines internationales et multiculturelles des acteurs ? Ces choix renforcent le caractère universel des questions posées par la tragédie : la noirceur du monde livré à l’hypocrisie, aux faux-semblants, la vengeance, l’honneur, le meurtre du père, autant de sujets qui plongent le jeune Hamlet dans un désarroi douloureux et tragique. Elseneur doré se teinte de rouge et de noir pour révéler la pourriture du monde qui s’allie au crime.
La musique. Repérer les actions, les scènes où elle est présente. Faire souligner aux élèves le nom du directeur musical. En quoi la musique éclaire-t-elle le texte? Prendre comme exemple la tirade du spectre où les percussions accentuent et rythment la violence des vers.
Les costumes. Peter Brook accorde une place importante aux costumes pour leurs significations symboliques. À quels types de vêtements pense-t-on ? Sont-ils datables historiquement ? Que cherche à dire Brook de cette manière ? En quoi peuvent-ils illustrer la fonction et l’état d’esprit des personnages ? Souligner les contrastes et la symbolique des couleurs.
Le décor. Un espace vide où règnent les couleurs. Souligner que le théâtre est ici utilisé comme espace scénique à part entière. Les plans d’ensemble au début et à la fin mettent en valeur un tapis rouge qui rappelle l’Inde et sur lequel sont déposées quelques lampes. L’absence de décor traditionnel renoue avec le théâtre élisabéthain qui se jouait aussi dans un espace vide. Ici les couleurs constituent le décor et une recherche esthétique essentielle.
Quand le théâtre rencontre le cinéma
Cette adaptation relève du théâtre par son objet, mais la technique de l’image appartient au cinéma. Ce sera ici l’occasion de faire réfléchir les élèves sur la différence entre le regard du spectateur au théâtre qui voit l’ensemble du plateau et celui du spectateur au cinéma qui dépend des choix opérés par le cinéaste.
Peter Brook privilégie les gros plans et les plans rapprochés et sa caméra suit le visage des comédiens pour traquer la moindre émotion. La performance d’Adrian Lester est remarquable de finesse et Peter Brook peut ainsi saisir l’instant fugace d’une larme, le poing fermé par la détermination, le tressaillement du corps qui contient tout le désir violent du meurtre ou les changements rapides nécessités par le jeu incessant de la folie. La caméra suit la parole pour l’unir au langage du corps.
Les plans d’ensemble restituant la vision de l’espace scénique ne sont utilisés que dans les moments importants pour l’action dramatique et ils sont aussi l’occasion d’une composition esthétique élaborée. La scène réunissant Hamlet et le roi Claudius à genoux est un exemple parfait du talent de Peter Brook.
Souligner l’arrivée furtive d’Hamlet se confondant presque avec la pénombre, puis la place et les attitudes du roi à genoux en prière avec, dressé derrière lui, Hamlet menaçant. Leurs ombres confondues sur le mur en arrière-plan deviennent alors métaphore spectrale de la vengeance royale qui instaure l’espace tragique. Ici, la création du metteur en scène unit l’essence de la tragédie dans une esthétique théâtrale, cinématographique et picturale par le jeu des couleurs.
Cette scène mérite un travail particulier car elle offre une synthèse des différentes lectures de l’image que nous pouvons effectuer avec les élèves, outre que le vocabulaire de l’analyse filmique peut être réutilisé.
Brook par Brook, portrait intime
[Français, tous niveaux.]
Ce documentaire peut également être visionné lors d’un itinéraire de découverte sur le corps et la parole, en français et en éducation physique et sportive, ou sur l’élaboration d’un décor de théâtre, en arts plastiques et en français.
Le théâtre, entre révélation et transformation de la vie
Observer le travail de l’acteur lors d’une séquence sur les répétitions ou la manière dont Peter Brook cherche à libérer l’acteur pour lui redonner une immédiateté par rapport au jeu ; les répétitions et les exercices d’improvisation auxquels nous assistons donnent l’impression de pénétrer dans un espace sacré et pourtant tellement connu (l’improvisation à partir d’un bol rempli d’un liquide précieux entre autres).
Orienter la réflexion sur l’acte théâtral, acte à la fois lointain et infiniment proche du quotidien (une chaussure peut se transformer en téléphone si l’on veut).
Retrouver le lien avec le théâtre en ce sens où ce dernier est avant tout une expérience humaine, parole du corps et moyen d’expression non verbale (mon corps m’exprime peut-être plus et mieux que ma parole, mon corps peut être un moyen d’expression et me libérer…).
Faire percevoir l’espace théâtral comme un lieu de passage vers « le monde brut » mais aussi comme un moyen d’imaginer le monde ; des lieux occupés lors des expériences de Brook dans son théâtre itinérant jusqu’aux Bouffes du Nord, tout témoigne de la nécessité de ne pas faire théâtral mais simplement et essentiellement humain.
Définir le rôle du décor et son nécessaire dépouillement afin de laisser le spectateur dans l’absolue nécessité de ne percevoir que l’essentiel.
Faire travailler l’imagination dans ce qu’elle a d’immédiatement sensible.
Amener finalement à une lecture des pièces de Shakespeare en envisageant différents angles de lecture tels le langage des corps, la mise en espace, la double énonciation et la brutalité de l’homme.
Le document
Oubliez Shakespeare
Que peut-on dire à un jeune comédien qui s’essaie à un de ces grands rôles ? Oubliez Shakespeare. Oubliez qu’il y a jamais eu un homme de ce nom. Oubliez que ces pièces ont un auteur. Pensez seulement que votre responsabilité en tant que comédien est de donner la vie à des êtres humains. Alors imaginez uniquement – comme un truc utile – que le personnage que vous êtes en train de travailler a vraiment existé, imaginez que quelqu’un l’a suivi partout en secret avec un magnétophone, de telle sorte que les mots qu’ils disaient soient vraiment les siens. Qu’est-ce que cela changerait ?
Les conséquences d’une telle attitude peuvent aller très loin.
D’abord, toutes les tentatives de penser qu’Hamlet est « comme moi » sont anéanties. Hamlet n’est pas « comme moi », il n’est pas comme tout le monde, parce qu’il est unique. Pour le prouver, faites une improvisation de n’importe quelle scène de la pièce. Écoutez attentivement votre propre texte improvisé : il peut être très intéressant, mais mot par mot, phrase par phrase, est-ce qu’il a la même force que le discours d’Hamlet ? Vous allez devoir admettre que ce n’est pas vraisemblable. Et il est absolument ridicule d’imaginer que quelqu’un puisse – échangeant Ophélie contre la fille qu’il aime ou Gertrude contre sa propre mère -, situation pour situation, s’exprimer avec l’intensité d’Hamlet, avec son vocabulaire, son humour, sa richesse de pensée. Conclusion : dans l’histoire, un homme comme Hamlet a existé, a vécu, respiré et parlé une seule fois. Et nous l’avons enregistré ! Cet enregistrement est la preuve que ces mots ont vraiment été dits. Ainsi convaincus, nous vient un vif désir de connaître cette personne exceptionnelle. […]
Cela ne nous conduit ni à la négligence, ni à un moindre souci pour le détail sensible du vers. Au contraire, chaque syllabe prend une nouvelle importance, chaque nouvelle lettre peut devenir un clou essentiel dans la reconstruction d’un cerveau d’une complexité énorme. Nous ne pouvons pas continuer à toujours commencer par une idée, un concept ou une théorie sur le personnage. Il n’y a pas de raccourci. Toute la pièce devient une grande mosaïque et nous nous rapprochons de la musique, du rythme, de l’étrangeté des images, des allitérations, même des rimes, avec la surprise et la modestie de la découverte, parce qu’ils sont bien des expressions nécessaires de créatures humaines hors du commun. […]
Ce n’est qu’en oubliant Shakespeare que nous pouvons commencer à le trouver.
Peter Brook, Avec Shakespeare,
Actes Sud/Conservatoire national d’art dramatique,
coll. « Apprendre », 1999.
La bibliothèque
SHAKESPEARE William, Tragédies, 2 vol. Laffont, coll. « Bouquins », édition bilingue, 2000.
SHAKESPEARE William, Hamlet, Aubier, coll. « Domaine anglais », édition bilingue, traduction d’André Lorant, 1988. Une édition qui comprend une introduction intéressante et des notes abondantes.
SHAKESPEARE William, Hamlet, Gallimard, coll. « Folio classique », traduction d’Yves Bonnefoy, 1978.
BROOK Peter, L’Espace vide : écrits sur le théâtre, Seuil, coll. « Pierres vives », 1977. Des réflexions très intéressantes sur le théâtre et le travail du metteur en scène.
BROOK Peter, Avec Shakespeare, Actes Sud/Conservatoire national d’art dramatique, coll. « Apprendre », 1999.
ARTAUD Antonin, Le Théâtre et son Double, Gallimard, coll. « Folio essais », 1985.
« Shakespeare », Magazine Littéraire, n° 393, décembre 2000. Un numéro très riche abordant les problèmes de traduction, le théâtre et Shakespeare au cinéma.
Le Roi Lear, film de Peter Brook, 1969. Brigitte Coutin (pour The Tragedy of Hamlet), et Bénédicte Bonnet (pour Brook par Brook, portrait intime), professeurs de lettres modernes.
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