L’étoffe des rêves
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© Les Echos 24/06/10 – Article de Philippe Chevilley
Warum Warum de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
« Un foulard de soie rouge qui tombe en spirale pour figurer la mort. Une lumière bleutée qui évoque un ciel peuplé d’esprits invisibles. Un siège fantôme qui roule sur la scène comme un bateau ivre. Et des mots, des mots mystérieux, graves ou drôles, qui sortent en rafales ou en murmures de la bouche d’une minuscule diva à la coiffure afro. Miriam Goldschmidt raconte en une petite heure aux Bouffes du Nord un siècle de théâtre. Le théâtre, tel qu’il a visité, saisi, traversé de part en part un grand de la scène, Peter Brook (à moins que cela ne soit l’inverse). « Warum Warum » : l’infatigable jeune homme de quatre-vingt-trois ans nous offre une méditation savoureuse et savante sur les ressorts de son art, en mixant (avec Marie-Hélène Estienne) des fragments de discours de ses maîtres : Artaud, Craig, Dullin, Meyerhold, Motokiyo et… « last but not least », Shakespeare.
Pas de discours didactique. Ce patchwork singulier semble cousu à l’instinct, pour toucher directement l’âme et les sens du spectateur. La comédienne joue toutes les couleurs et nuances de la comédie, tour à tour prof et élève, metteur en scène et acteur. Allant jusqu’à incarner Dieu, qui, le septième jour, a inventé le théâtre pour sauver les hommes de l’ennui.
Notes célestes
Il y a les lumières, les objets – rares : une chaise, un cadre de porte… -, la voix et aussi la musique. Un ange gardien, Francesco Agnello, accompagne la muse de sa lyre cosmique -un instrument de métal extraordinaire, entre saladier et soucoupe volante, fabriqué en Suisse, où le spectacle a été créé -qui, martelé avec doigté, produit des notes célestes.
Grand DJ métaphysique, Brook compose avec ses échantillons de discours un spectacle en pointillé : points de suspension, point d’interrogation… « Warum, Warum » : il n’y a pas de réponse, que des solutions fugaces, qui naissent par miracle sur la scène nue, d’un regard, d’un geste et d’une intonation. On rit souvent des facéties de la comédienne, de la facilité avec laquelle on est berné par de simples effets de théâtre. Miriam Goldschmidt fait rire avec le mélodrame, remonte dans des temps très anciens où les marionnettes étaient des représentations divines et fait frémir une lande sauvage, en décochant trois vers de Shakespeare. Peu importe le pourquoi et le comment…. possédé par les esprits du théâtre, on se sent bientôt de l’étoffe des rêves. Et c’est bien réjouissant. »
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