« Singspiel »
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©Le Soleil, Richard Boisvert (Québec).
Passer une heure en compagnie du pianiste Franck Krawczyk, proche collaborateur de Peter Brook et de Marie-Hélène Estienne dans l’aventure d’Une flûte enchantée, permet de mieux saisir l’essence du spectacle à l’affiche au Festival d’opéra de Québec à compter de lundi. Curieusement, c’est en s’éloignant peu à peu de la musique qu’on finit par se rapprocher du sujet. S’il faut d’abord retenir un seul message de La flûte enchantée, c’est que l’amour sauve le monde.
Pour le pianiste Franck Krawczyk, l’opéra de Mozart touche les gens durablement et à tous les âges parce qu’il réussit à démontrer ce qu’il met précisément en scène. «Au moment de la Révolution, alors que l’Europe se pose des milliards de questions apocalyptiques, que toutes les têtes tombent, on fait le pari qu’il existe un homme et une femme qui peuvent s’aimer et construire un monde qui triomphe des ténèbres.»
Sorte de concentré de la version originale, Une flûte enchantée est un genre en soi très difficile à expliquer. «Peter Brook tient beaucoup à l’idée du «singspiel», note le pianiste. C’est l’association de deux critères, le chant et le jeu, qui ne se juxtaposent pas, mais qui se vivent en même temps. On essaie de raconter l’histoire sans interruption, dans la continuité la plus simple et la plus évidente.»
À la recherche d’une clarté toujours plus grande, Peter Brook et ses complices ont allégé le propos au maximum. Les trois dames, les trois garçons, les choeurs et l’orchestre font partie des principaux éléments retranchés. Les chanteurs, des jeunes du monde entier choisis à la suite d’auditions – on trouve parmi eux le ténor québécois d’origine mexicaine Antonio Figueroa -, ont été invités à se défaire de toutes leurs anciennes habitudes, à s’ouvrir à la réalité du jeu.
Les deux distributions ont disposé de trois mois pour raffiner le spectacle, ce qui est tout à fait exceptionnel à l’opéra, fait remarquer Franck Krawczyk. «J’ai toujours cru que le théâtre de Peter et de Marie-Hélène a fait un cadeau à la musique. Ils ont donné aux jeunes chanteurs l’occasion de présenter leur travail sous son jour le plus resplendissant.»
Marie-Hélène Estienne a posé comme exigence que d’une ville à une autre, et même d’une représentation à une autre, la scène demeure un lieu de constant renouveau, ajoute le musicien. «C’est extrêmement rare d’avoir un partenaire qui vous oblige à ne pas vous répéter à l’identique, à tout le temps renouveler. Or, l’esprit mozartien, il est dans ce renouveau.»
Franck Krawczyk a lui aussi évité de fixer son accompagnement dans un cadre définitif. «Le piano est l’équivalent des bambous qui forment le décor, des projecteurs ou des acteurs. C’est un espace disponible pour le plateau. Je dois le laisser ouvert. Chaque soir, je prends des décisions au dernier moment, selon ce que m’envoie le chanteur. Si le son prend une nouvelle direction, je ne peux pas mettre le même accord que la veille. D’ailleurs, je n’ai pas de partition complètement réglée. Je joue avec le cortex de l’orchestre. C’est vraiment un spectacle ouvert. J’essaie d’entrer en discussion avec les chanteurs.»
Le pianiste s’accommode très bien de ces exigences inhabituelles. Chez Mozart, rappelle-t-il, la con-trainte est toujours l’occasion de faire preuve de génie. Quand Schikaneder se montre incapable de chanter l’air qui était destiné au personnage de Papageno, le compositeur accepte de lui substituer une chanson populaire plus facile qu’il habille d’une orchestration savante. «De cette mélodie qui tourne en rond, Mozart fait quelque chose qui passe à la fois la rampe et l’épreuve du temps.»
«Beethoven l’a très bien compris, ajoute Franck Krawczyk. Quand il nous parle de La flûte, il dit que Mozart a su, de la chanson, de la chansonnette, de l’arioso, du récitatif, du choeur, du genre le plus mineur au genre le plus difficile, tout élever au plus haut.»
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