Raconte-moi des mensonges
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© Mediapart – 4 février 2014 – Par Jean-Jacques Birgé
Tell Me Lies de Peter Brook n’avait pas été projeté depuis 1968 ! Il est formidable de découvrir 45 ans plus tard le pamphlet contre la guerre du Viêt Nam que ce célèbre metteur en scène croyait perdu. Le film, pas la guerre ! Encore que toutes les guerres sont perdues du point de vue des morts et même des autres, de tous les autres. Et Peter Brook de suggérer que la remasterisation du film coïncidant avec la boucherie en Syrie lui confère une actualité (que l’on voudrait nous faire croire) éternelle.Tell Me Lies tente d’ouvrir les yeux de celles et ceux qui ne veulent pas voir. L’image de départ d’un enfant brûlé au napalm justifie que la troupe de théâtre dirigée par Brook à New York monte US. Son adaptation cinématographique tournée dans le Swinging London de 1967 n’en conserve que les chansons qu’il monte en contrepoint d’un mélange vivifiant où les frontières entre documentaire et fiction sont effacées. Les trois jeunes comédiens, parmi lesquels Glenda Jackson, les interprètent face caméra avec un mordant inhabituel sur des paroles satiriques d’Adrian Mitchell qui échappent au message formaté du genre. Leurs improvisations, déjà à l’origine de la pièce américaine, dynamise le propos, à l’instar de cette party organisée par l’équipe où de vrais politiciens sont invités. La musique jazzy très Broadway composée par Richard Peaslee renforce également la critique, absurdité des conflits dont les véritables enjeux ne sont jamais révélés, complicité des masses face aux crimes perpétués en leurs noms. Le style inventif du film le rapproche de ceux de Dziga Vertov, ciné-tracts qui swinguent et réfléchissent la vie mieux que toutes les démonstrations dogmatiques et le côté bien-pensant appelé aujourd’hui «politiquement correct». J’y pense en ce moment où les affiches pour la campagne électorale des municipales à laquelle je participe sont vraiment trop tartignoles.
Le DVD publié par Blaq out propose deux entretiens passionnants, le premier avec le réalisateur, également producteur, dont le style a changé à partir de ce moment, le second avec Séverine Wemaere et Gilles Duval qui ont exhumé ce brûlot indispensable, pépite dont l’éclat devrait guider les jeunes créateurs dans notre époque de démence où la révolte est bien molle et les films trop souvent à son image.
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