© The Spectator – 2 novembre 2019
Stuart Jeffries talks to the loquacious 94-year-old director about the parlous state of British theatre, Brexit and how he wishes more politicians were like Putin
Une sélection d’interviews de Peter Brook On Youtube.
https://www.bbc.co.uk/sounds/play/m000v2wk
Released On: 15 Apr 2021. © BBC /Produced by Pauline Harris
L’heure bleue, Laure Adler, France Inter, lundi 26 avril 2021 : Etre au présent
L’heure bleue, Laure Adler, France Inter, mardi 27 avril 2021 : Etre au présent – 2
L’heure bleue, Laure Adler, France Inter, jeudi 15 mars 2018 : https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-15-mars-2018
https://www.youtube.com/watch?v=Y_8izLe2FBg
© www.standard.co.uk – GO LONDON by NICK CURTIS
The 65th Evening Standard Theatre Awards celebrated a vintage year on the London stage, with a peerless crop of winners including Dame Maggie Smith, Andrew Scott and Anne-Marie Duff. But the most sustained ovation on Sunday night came when Peter Brook, now 94 and unquestionably Britain’s greatest living director, was named the recipient of the Lebedev Award for his service to the art form he continues to reshape. Read more
Ecouter l’émission – France Inter 8 juillet 2019
Libération, 15 mars 18, par Anne Diatkine, photo Jérôme Bonnet
Le dramaturge et metteur en scène britannique défend ardemment le caractère éphémère de son art. Aux Bouffes du Nord, il monte «The Prisoner», fable énigmatique sur l’inceste et le pardon. Rencontre avec un orfèvre du vide.
© The Gardian, Michael Billington – October 2017
At 92, the visionary director refuses to slow down. He talks about how to silence audiences, the trouble with doing Shakespeare in French, the difference between Olivier and Gielgud, and why Elizabethan theatre would shock us today. Read more
« Du bout des lèvres » : le metteur en scène et dramaturge britannique Peter Brook mêle souvenirs personnels et réflexions sur le théâtre. Il prépare une nouvelle création, « The Prisonner », dans l’emblématique théâtre des Bouffes du Nord, qu’il a marqué de son empreinte.
Interview, France Culture, émission « La Grande Table », jeudi 15 février 2018
Ecoutez !
The New York Time – Times Talks… with Peter Brook (clic !)
© The Gardian – Mickael Billington – March 2015
70-year career of a director with a touch of the showman who has always sought to bring reality to the stage. Read more
© Lalibre.be – 12 octobre 2013 – Guy Duplat
Il parle de l’émotion, de la gratitude, de la mort, de la nature, de notre monde « fou ».
Le grand metteur en scène Peter Brook, 87 ans, a réinventé son spectacle « Le Costume ». Avec l’ajout de merveilleux chants, la pièce raconte l’injustice, le pardon, la compassion. Avec une simplicité totale qui en devient bouleversante. Le spectacle sera à Liège dans quelques jours. Read more
« Sur un fil » (The Tightrope) de Simon Brook – Diffusion le 3 juillet à 22h30 sur ARTE
Pendant plusieurs jours, à l’occasion d’un atelier d’improvisation pour lequel il a réuni autour de lui un groupe d’acteurs et de musiciens, il a laissé pénétrer des caméras au coeur de ses répétitions, conçues autour d’un exercice fondamental au nom symbolique : « La Corde Raide ».
Véritable concentré d’années de recherche et d’expérimentations théatrales, cet exercice riche et multiple, qui réunit tous les aspects du travail de l’acteur, est devenu le fondement de la démarche et de la philosophie de Peter Brook.
Film atypique et personnel, « Sur un Fil… » nous plonge dans l’intimité du travail du metteur en scène et de sa troupe, sans en troubler la vérité, et montre la magie du processus de création. Il nous entraîne sur cette « corde raide » imaginaire et métaphorique et nous invite à vivre, bien au-delà du théâtre, une expérience humaine et philosophique unique.
Le tête-à-tête par Frédéric Tadei. Ecoutez l’émission
A 18 ans, il fait sa première mise en scène théâtrale. A 19 ans, son 1er film. A 23 ans, il fait scandalke à Covent Garden avec Salomé, l’opéra de Richard Strauss. Depuis plus d’un demi-siècle, il est considéré comme l’un des plus grands metteurs en scène du monde. Aujourd’hui, à 88 ans, il est de retour aux Boffes du Nord, qui fut son théâtre pendant 35 ans, avec » Une flûte enchantée » d’près Mozart et le film « Peter Brook sur le fil » que lui a consacré son fils, Simon, sera diffusé au Printemps des comediens à Montpellier le 28 juin, sur Arte le 3 juillet et au festival d’Avignon le 12 juillet.
The Directors Guild Peter Brook Lecture is an annual public event, giving leading directors from across the disciplines a platform to address their craft, culture and industry. The Lecture series, established in 2010 with a talk given by Peter himself, is a vital source of inspiration and insight for fellow directors and industry professionals as well as anyone thinking about entering into film, theatre or the Arts. The Second Peter Brook Lecture in 2011 was delivered by Phyllida Lloyd; Nicholas Hytner was the speaker at the Third Peter Brook Lecture in 2012. Lecture and DVD info
© Le Nouvel Observateur, Odile Quirot 10 octobre 2012. Entretien avec Peter Brook
Réalisé à Londres en 1967, ce cinquième long-métrage du dramaturge est une formidable réflexion sur la guerre du Vietnam. Le film sort enfin en salles, en version restaurée. Read more
Première du film à la Mostra de Venise, le 4 septembre 2012.
A propos de « Tell me Lies » – Peter Brook
« Nous étions sept – Michael Kustow, Adrian Mitchell, Denis Cannan, Albert Hunt, Richard Peaslee, Sally Jacobs et moi-même – rapidement rejoints par beaucoup de ceux qui avaient participé à l’aventure de Marat-Sade. Read more
The Tightrope – documentaire 2012, Simon Brook – + infos : https://www.facebook.com/TheTightrope
« How does one make theatre real? It is so easy to fall into tragedy or comedy. What is important above all is to be on this strict razor edge of the tightrope… »
« Il est si simple de tomber du côté de la tragédie ou de la comédie, ce qu’il faut avant tout, c’est être sur la corde raide… ». Read more
France Inter – « Studio Théâtre » animé par Laure Adler, reçoit Peter Brook, le vendredi 6 avril 2012 (23h15 à minuit)
©www.iti-worldwide.org
Message de Peter Brook – 1969
» Les gens qui travaillent au théâtre ont leur propre caractère et leurs propres caractéristiques. Ils sont prompts à s’émouvoir et parce qu’ils sont prompts à s’émouvoir, ils sont rapidement mus – par la colère, par exemple.
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Peter Brook – The Guardian, Monday 17 October 2011
Denis Cannan was a precious lifelong friend. For many years we could find one another only through the telephone. His voice always carried the same alert humorous observation of life, even as he went tooting through the streets of Hove in his invalid chair, delighted by the reactions he could arouse. Read more
©Le Soleil, Richard Boisvert (Québec).
Passer une heure en compagnie du pianiste Franck Krawczyk, proche collaborateur de Peter Brook et de Marie-Hélène Estienne dans l’aventure d’Une flûte enchantée, permet de mieux saisir l’essence du spectacle à l’affiche au Festival d’opéra de Québec à compter de lundi. Read more
Propos recueillis par David Sanson
Qu’est-ce-qui vous a poussé, douze ans après Don Giovanni, à revenir à Mozart, et à vous attaquer à la Flûte enchantée?
Cette envie remonte à très, très loin. J’ai abandonné l’opéra, après plusieurs années d’expériences à Covent Garden et au Metropolitan Opera de New York, sur une haine absolue de cette forme figée- non seulement la « forme opéra », Read more
© Michael Coveney – 15th December 2010. ©Photo : Pascal Victor
Peter Brook will celebrate his 86th birthday in March with a Barbican production. The most original of theatrical titans tells Michael Coveney why the time for banging the drum is over Read more
©DIE ZEIT – 4 mai 2007
Von Afrika nach Duisburg – der Regisseur Peter Brook gastiert bei der Ruhrtriennale. Ein Gespräch
Von Peter Kümmel
Mr. Brook, bei der Ruhrtriennale werden Sie in Duisburg ein Stück uraufführen, das uns ins traditionelle, animistische Afrika zurückführt: ≥Tierno Bokar„. Was fasziniert Sie an der afrikanischen Kultur?
Es besteht dort noch ˆ manchmal nur in Spuren ˆ eine Qualität des menschlichen Zusammenlebens, die im Westen verloren gegangen ist. Als die europäischen Kolonisatoren in Afrika ankamen, sahen sie, dass die Einheimischen nackt waren und in Lehmhütten wohnten. Die Neuankömmlinge schlossen, dass es sich um Primitive handeln müsse. Da hatten sie in Asien anderes gesehen, großartige Gebäude, eine hochstehende Kultur, die zu berauben sich lohnte. Was die Europäer nicht erkannten und bis heute nicht wirklich verstehen, ist, dass die Afrikaner etwas entwickelten, das so komplex und hoch entwickelt war wie die Kultur Asiens. Die Architektur der Afrikaner ist die Architektur des menschlichen Zusammenlebens ˆ das komplexe Gebilde des sozialen Umgangs. Es geht in Afrika nicht um Strukturen, sondern um behavior.
Haben wir Europäer diese Lebenskunst nie beherrscht, oder haben wir sie nur verloren?
Natürlich existierte diese Kunst in jedem Teil der Welt. Aber die Zeit bewegt sich in Zyklen. Und derzeit bewegt sich der Westen auf rasante Weise kulturell abwärts. Die Qualität der menschlichen Beziehungen geht rapide verloren. Es herrscht eine Weltkultur des Kommerzes. Diese Entwicklung lässt sich nicht stoppen, so wenig, wie man einen rasenden Zug mit bloßer Hand stoppen kann. All das führt dazu, dass im Westen viele Menschen noch reicher werden und noch länger gesund bleiben; aber der Preis dafür ist die Degradierung des Zusammenlebens. Die Familien werden kleiner, die Paarbeziehungen zerbrechen, es ist ein großer Schrumpfungsprozess.
In Ernst Blochs ≥Prinzip Hoffnung„ heißt es sinngemäß: Die wahre Genesis ist nicht am Anfang, sondern am Ende der Geschichte; wir leben noch in einer Art prähistorischer Zeit.
Das ist der Gedanke eines hoffnungsvollen Mannes. Ich selber bin weder optimistisch noch pessimistisch. Ich versuche nur zu sehen, was da ist. Eine berühmte Zeile von T. S. Elliot heißt ≥The end is our beginning„. Vielleicht ist das wahr, dennoch weiß ich nicht, ob es Ihnen oder mir hilft zu spekulieren, was in der Zukunft, am Ende der Geschichte passieren könnte. Das Einzige, was uns jetzt interessiert, ist das, was uns jetzt hilft. Und die entscheidende Frage lautet nicht: Wie erlangen wir Hoffnung? Sondern: Wie kommt es, dass wir die Hoffnung immerzu zerstören? Dass wir sie verraten? Auf Hoffnung zu hoffen hat keinen Sinn. Es ist wie mit der Aufforderung an einen Agnostiker: Du musst glauben. Das bewirkt das Gegenteil. Aber wenn man sich selbst genau erforscht ˆ was ist dein größtes Hindernis? Was hält dich davon ab, das zu finden, was du dir am sehnlichsten wünschst? ˆ, dann wird die Hoffnung sich zeigen.
Stellt das Theater diese Fragen?
Das Großartige am Theater ist, dass am Ende des Abends ein paar wenige Leute mit ein bisschen mehr Mut nach Hause gehen. Mehr kann es nicht erreichen.
Man weiß von Ihnen, dass Sie sich für Theaterkunst eigentlich nicht interessieren. Weshalb machen Sie noch Theater?
Im Lauf der Jahre habe ich das Interesse an ≥Inszenierungen„ verloren. Ich fühle mich nicht als Theaterkünstler, und ich will nicht bis zum Ende meines Lebens Theater machen. Früher fand ich das Bühnenleben sehr aufregend, jetzt ist es für mich nur noch ein Mittel, Themen ans Licht zu bringen.
Sind Sie noch an der Entwicklung neuer Theaterformen interessiert?
Die Entwicklung von Theatertechniken und Darstellungsformen war eine Aufgabe der fünfziger und sechziger Jahre. Heute ist es fast unmöglich, im Theater etwas Neues zu machen. Wir haben schon alle Arten von Licht- und Schalleffekten, Projektionen, Pseudorealitäten. Die Technik entwickelt sich von allein weiter, sie braucht unsere Aufmerksamkeit gar nicht. That‚s not our business. Jede Popgruppe treibt die Darstellungsformen bis an die Grenzen, da gibt es keine Überraschungen mehr. Die letzte Überraschung auf dem Theater bereitet das handelnde menschliche Wesen.
Haben Sie je an das so genannte politische Theater geglaubt?
Ich weiß, in Deutschland spielt es eine entscheidende Rolle, aber ich glaube nicht daran. Denn es ist zur einseitigen Negativität oder zur blinden Propaganda verdammt. Das wahre politische Theater, das ich suche, vermag im selben Moment beides zu zeigen: das Ideal und den Verrat am Ideal; die Pervertierung der Idee und die Idee selbst, die Zerstörung der Vision und den Glanz der Vision. Auf der Bühne muss beides aufscheinen, das ist die idealistische Natur des Theaters. Wenn das Theater nur das Ideal zeigt, wird es niemanden berühren, weil es weltfremd ist. Wenn das Theater nur die Zerstörung zeigt, den Missbrauch, die Korruption, ist das ein Akt der Gewalt gegen das Publikum.
Sie haben sich immer wieder an Orte der größten Hoffnungslosigkeit begeben und dort optimistisches Theater gezeigt.
Wir haben in den südafrikanischen Townships ein Stück gespielt, Woza Albert!, das den Horror des Lebens unter der weißen Herrschaft und die pure Freude am Dasein zeigte; Glück und Trauer waren untrennbar vermischt. Das ist für mich das wahre Theater. Auf seine Weise gelang das auch Brecht, den ich kannte und dessen Produktionen ich sehen konnte. Sein Theater war voller Freude. Es enthielt die Anklage und den Jubel, die Kritik an den Verhältnissen und die Feier des Daseins.
Kürzlich haben Sie Becketts ≥Glückliche Tage„ inszeniert. Ist das nicht auch ein Werk, das die größten Gegensätze vereint?
Oh ja. Beckett, der in die Dunkelheit wahrhaft verliebt war, ein Pessimist vor dem Herrn, schrieb da ein erstaunlich helles Stück. Von seinen drei großen Stücken ˆ Endspiel, Warten auf Godot, Glückliche Tage ˆ hat nur dieses eine weibliche Hauptfigur. Sie existiert zwischen einem Licht, das sie nach oben zieht, und einer Verzweiflung, die sie nach unten zerrt. Die dunkle Lebensfreude, die sich da ausdrückt, ist einmalig in Becketts Werk ˆ es ist der Moment, da er den Weg aus seiner persönlichen Finsternis gefunden hat, mit einer Frau als Protagonistin. Keines seiner Männerstücke hat diese Helligkeit. Vielleicht liegt Hoffnung in dem Gedanken, dass jeder Mann eine Frau in sich hat und jede Frau einen Mann.
Sind Sie religiös? Woran glauben Sie?
Mein größter Wunsch wäre es, in vollem Ernst sagen zu können: Ich glaube an nichts. Ich weiß, das ist unmöglich, denn wir glauben immer an irgendetwas. Im Moment glaube ich an das Gespräch, das wir gerade führen. An den Austausch zwischen uns.
Was ist denn das Tröstliche am Nichts?
In Shakespeares Lear fragt Lear seine Tochter Cordelia, was sie sagen wird, um ihn ihrer Liebe zu versichern. Und Cordelia sagt: ≥Nothing, my Lord„. Aus ihrem Mund ist das etwas überwältigend Positives. Lears andere Töchter fassen ihre Liebe zu ihm in Worte, erklären sie aufwändig. Für Cordelia dagegen ist ≥nichts„ ein Wort noch jenseits des Wortes Liebe, es ist absolut. Und Lear, weil er wütend und auch klug ist, sagt: Nothing comes from nothing„. Da sind nun zwei Arten von nichts, two nothings, im Spiel und stoßen gleichsam zusammen: Da ist das Nichts der absoluten, zerstörerischen, zynischen, leeren Leblosigkeit, und dann ist da das Nichts, das über Hoffnung, Gott, das Universum hinausführt ˆ als die überlegene Quelle des Lebens. Dorthin würde ich gern gelangen. Auf dem Weg in dieses Nichts behelfen wir uns mit dem Glauben an Kleinwahrheiten.
Mit dem Glauben an die nächste Theaterproduktion, die nächste Mahlzeit, den nächsten Atemzug?
Wir leben von den Wahrheiten des Augenblicks. Und das ist auch dem Theater eingeprägt: die Möglichkeit, im selben Augenblick zu glauben und nicht zu glauben. Echtes Theater hat diese Qualität. Der Schauspieler glaubt absolut an das, was er da gerade tut ˆ und zugleich glaubt er nicht im Mindesten daran. Dasselbe gilt fürs Publikum. Es ist gebannt von den Geschehnissen auf der Bühne und versucht sich gleichzeitig vor den Grippeviren des Sitznachbarn zu schützen. Glauben und Nichtglauben im selben Moment ˆ darum dreht sich das ganze Theater. Deshalb kann es für Momente ein wahreres Bild des Lebens geben als das Leben selbst.
Was halten Sie von der Meinung, die ganze Welt sei eine Bühne und das professionelle Theater also überflüssig?
In den sechziger Jahren war das ein gängiger Satz: Wozu brauchen wir Bühnen, wenn die Straßen voll sind von Dramen? Nun, das ist eben nicht wahr. Im wahren Leben sind wir viel zu abgelenkt, zu zerstreut. Theater versetzt uns in die Lage, die Dinge genauer zu sehen mittels seiner Doppelbelichtung, dem Ineins von Glaube und Nichtglaube.
Was ist die Aufgabe eines Menschen, wenn er denn eine hat?
Jeder Mensch navigiert im Leben zwischen Glaube und Nichtglaube, Hoffnung und Verzweiflung. Es ist unsere Aufgabe, unseren Mitnavigatoren auf ihrer Reise beizustehen.
Aber es ist eine Reise ins Dunkle?
Ich habe mich lange mit dem Mahabharata-Mythos der Hindus beschäftigt. Er besagt, dass die Geschichte der Menschheit einem Zyklus folgt. Sie begann in einem goldenen Zeitalter; dann vollzog sich ein kontinuierlicher Abstieg, der uns in ein dunkles Zeitalter führte. Eine sehr pessimistische Vermutung, aber wenn wir uns umsehen, stellen wir fest: Sie stimmt. Es stimmt aber auch, dass dieser Zyklus der Auf- und Abstiege sich im Kleinen täglich ereignet und in jedem Augenblick präsent ist. In der Morgendämmerung öffnet sich das Feld der Millionen Möglichkeiten, und es liegt an uns, ob wir sie am Abend genützt oder versäumt haben. D. H. Lawrence schrieb ein berühmtes Buch mit dem Titel Mornings in Mexico: Jeder Morgen in diesem Land ist erfüllt von Hoffnung, aber aufgrund der pessimistischen, tragischen Natur der mexikanischen Seele befinden sich die Mexikaner am Ende des Tages in tiefer Melancholie und Verzweiflung; und sie ertränken ihre Seele in Tequila. Jedoch am nächsten Morgen ˆ phhh (Brook bläst Luft über seine leere Handfläche) ˆ beginnt alles von neuem. Der Zyklus setzt sich fort, er offenbart sich in jedem Atemzug. Natürlich ist es sehr schwer, im historischen Bewusstsein zu leben, dass wir uns weiter ins dunkle Zeitalter hineinbewegen. Und doch: Man muss darin seinen Weg finden. Es geht um die Entdeckung des positiven Nichts. Mit Hilfe der Kunst, des Austauschs zwischen Menschen, der Arbeit.
Ist der Austausch zwischen den Kulturen Ihre oberste Hoffnung?
Als wir unser internationales Theater-Zentrum gründeten, wollten wir etwas gegen den Rassismus und Nationalismus tun. Rassismus entsteht aus dem Irrglauben an die eigene Überlegenheit. Wer auf andere zugeht mit dem Bewusstsein ≥Wir wissen mehr als ihr„, weiß gar nichts. Die richtige Botschaft lautet: ≥Ihr wisst mehr als wir ˆ helft uns!„
Können uns auch die Toten helfen? Haben Sie deshalb so ein starkes Interesse an den Mythen der Welt?
Das Leben anderer Kulturen und die Erfahrung früherer Generationen ˆ all das stellt einen Schatz, einen Vorrat an potenzieller Hilfe für uns Heutige dar. Ich würde also, um auf Ernst Bloch zurückzukommen, nicht vom Prinzip Hoffnung reden, sondern vom Prinzip Hilfe.
Als Sie gerade vom Nichts sprachen, fiel mir der Philosoph E. M. Cioran ein. Eines seiner Bücher hat den Titel ≥Vom Nachteil, geboren zu sein„. Ein dummer Titel?
Ich würde das Buch anders nennen: Vom Nachteil, ein Intellektueller zu sein. Es ist eine Tatsache: Wir wurden geboren, wir sind da. Der Fluch des Intellektuellen besteht darin, sich mit irrelevanten Fragen beschäftigen zu müssen. Wenn ein japanischer Zen-Meister von einem Schüler gefragt wird, ob es ein Nachteil sei, geboren worden zu sein, wird der Lehrer seinen Schüler an der Nase packen, bis der aufschreit, und dann wird er ihn fragen: Na, bist du nun auf der Welt oder nicht?
Cioran dachte stets daran, den Nachteil des Geborenseins von eigener Hand auszubügeln; er erwog den Selbstmord, ohne ihn je zu vollziehen.
In diesem Punkt war er kein Intellektueller mehr, sondern ein intellektueller Masturbateur.
Haben Sie Achtung vor dem Akt des Suizids?
Es ist die ultimative Anmaßung eines menschlichen Wesens, sich für schlauer zu halten als die Schöpfung, die Schöpfung für misslungen zu erklären und sich selbst zu töten. Ist der Suizid ein Akt der Demut oder der Arroganz? Für mich ist er der finale Ausdruck der Arroganz.
A certain path par Margaret Croyden – ©2001 Theatre Communications Group.
PARIS: A Peter Brook production–whether it is the nine-hour epic The Mahabharata; a depiction of the dysfunction of the human brain, The Man Who; or a stripped-down adaptation of Bizet’s Carmen–is always an event to be reckoned with. Now, in his 75th year, this famous master of the theatre has mounted yet another iconoclastic work, his own streamlined version of Hamlet. It opened last fall at Brook’s own Théâtre des Bouffes du Nord in Paris, quickly sold out its entire run and is now on a world tour. Brook’s signature style–the transparency, the simple staging and uncluttered setting, the impeccable color sense, the essential beauty of mise en scène–are all there. Possibly no other director in the Western world has had the nerve–or the confidence and daring–to so boldly contest commonly held theatrical views. His is an undaunted search for new meanings, for greater insights, for what lies beyond the naked eye. Never satisfied, striving to find a more refined aesthetic to express the mysteries of the human spirit, Brook is unfazed by challenges or criticisms that his unorthodox endeavors may provoke–and that extends even to pruning Shakespeare. Plainly, Peter Brook goes his own way.
Brook offered these views on his Tragedy of Hamlet in an interview conducted in Paris in December. Read more
Entretien avec Peter Brook. Par Fabienne Darge, 6 juillet 2006 ©DDOOSS
À 81 ans, l’infatigable voyageur Peter Brook poursuit son exploration du théâtre comme instrument de découverte de la vie dans ce qu’elle a de plus divers : une esthétique de la pluralité, une éthique de la curiosité et de l’ouverture qui l’amènent à monter une nouvelle fois ce «théâtre des townships» sud-africain avec « Sizwe Banzi est mort », d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona.
Entretien. Read more
Entretien avec Peter Brook. Par Fabienne Darge, 6 juillet 2006 ©DDOOSS
À 81 ans, l’infatigable voyageur Peter Brook poursuit son exploration du théâtre comme instrument de découverte de la vie dans ce qu’elle a de plus divers : une esthétique de la pluralité, une éthique de la curiosité et de l’ouverture qui l’amènent à monter une nouvelle fois ce «théâtre des townships» sud-africain avec « Sizwe Banzi est mort », d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona.
Entretien. Read more
© Les Inrocks, juillet 2006 – Propos recueillis par Patrick Sourd
L’artiste britannique traite de l’identité à l’époque de l’apartheid. Un récit du passé qui trouve écho dans la condition des sans-papiers d’aujourd’hui.A quand remonte votre découverte du théâtre des townships ?
EN 1978, John Kani et Winston Ntshona, les deux acteurs noirs qui signent avec l’auteur blanc Athol Fugard « Sizwe Banzi est mort » étaient reçus pour la première fois au Royal Court, à Londres, pour présenter « The Island », leur pièce sur l’île-prison de Robben Island où, parmi d’autres, Nelson Mandela était emprisonné. Pendant quarante minutes et en silence, deux hommes sur un plateau vide accomplissaient le travail dur et inutile de remplir des brouettes et de les vider d’un côté à l’autre de la scène. Le public, sous le choc, se retrouvait transporté dans le quotidien des prisonniers, et l’actualité brûlante de l’Afrique du Sud de l’apartheid s’y incarnait d’une manière totalement naturelle, très différente du théâtre politique de l’époque. Ils montraient le pire dans l’affirmation d’un jeu où l’horrible, le tragique et le joyeux étaient inséparables. Ce théâtre m’a tout de suite fasciné. Les deux acteurs étaient sortis clandestinement d’Afrique du Sud. Ils n’avaient pas le droit de jouer dans leur pays – pas plus devant un public noir qu’a fortiori devant un public blanc ou mixte – et ils furent arrêtés à leur retour en Afrique du Sud.
Après Londres, avez-vou eu l’occasion de les retrouver en Afrique du Sud ?
J’ai fait le déplacement à Port Elizabeth pour parler avec eux de notre projet d’une version anglaise du Mahâbhârata. Mais sous l’apartheid, les bars et les restaurants étaient interdits aux Noirs. Ce régime atroce était malgré tout obligé de prévoir des endroits pour recevoir des hommes d’Etat ou des dignitaires noirs étrangers, tel un de ces hôtels cinq étoiles où nous avons pu prendre le thé ensemble.
Y avait-il d’autres lieux d’exception où la mixité était possible ?
Barney Simon (auteur et directeur de théâtre – ndlr) avait réussi à ouvrir le seul théâtre mixte d’Afrique du Sud. La raison en est simple, on pouvait séparer les races partout, sauf sur les marchés. Barney Simon avait eu la bonne idée d’acheter avec des amis le vieux marché de Johannesburg, et d’en faire le Market Theatre, un lieu extraordinaire.
« Sizwe Banzi est mort » est signé par deux acteurs et un auteur, cette pièce est-elle le fruit d’un travail d’improvisation ?
John Kani et Winston Ntshona improvisaient tandis qu’Athol Fugard retranscrivait, il avait ainsi un rôle de monteur en affinant la structure, en éliminant les redites. Mais l’auteur réel, ce sont les townships. Dans les townships, quand quelqu’un avait vécu une expérience révoltante, il n’avait pas d’autres possibilités que de se transformer en conteur pour partager son histoire avec ses amis et ses parents au coin d’une rue. Dans ces terribles conditions de vie, l’absence de théâtre avait fait naître une autre forme de théâtre… de très haut niveau. Tout ce que nous cherchions ici d’une manière intellectuelle était déjà présent chez eux grâce à cette école de la rue.
Aujourd’hui, les Noirs forment une nouvelle bourgeoisie en Afrique du Sud, que reste-t-il du théâtre des townships ?
Avant chaque révolution, la situation est très claire, un rapport de conflits aussi brutalement net provoque une situation très créatrice. On peut rappeler l’exemple des pays de l’Est, celui de la Californie avec le théâtre des fermiers luttant contre l’injustice faite aux migrants mexicains. Au lendemain de toutes les révolutions, il y a un moment d’exaltation, mais les problèmes se reposent dès le surlendemain. Le besoin d’œuvres miroirs existe toujours mais leur émergence est infiniment plus difficile lorsque les lignes de démarcations deviennent de plus en plus obscures entre les classes, car ainsi le théâtre ne peut plus naître d’une expression spontanée. C’est pour cela que le théâtre bourgeois a inventé les auteurs.
Quel est encore l’enjeu de monter un tel théâtre ?
Quand on fait du théâtre, ce qui compte au moment de la représentation, c’est que la note produite sonne si juste que rien n’aurait d’égal pour la faire entendre. On pourrait inventer un mot français pour qualifier le théâtre des townships, le « crire », le cri et le rire en même temps. La question que pose « Sizwe Banzi est mort » est de ne pas pouvoir exister sans un papier muni d’un tampon. A l’époque, on pouvait voir la pièce comme la dénonciation de l’injustice du régime qui existait là-bas. Aujourd’hui, on s’aperçoit que cette pièce dépasse largement son contexte immédiat. Nous l’avons jouée devant des jeunes à Paris et à Lausanne et, croyez-moi, cette petite pièce vaut la peine d’être reprise car elle parle d’une réalité – celle d’avoir ou pas des papiers – qui touche au plus profond de l’humain et du politique aujourd’hui.
De Fabienne Darge – © Le Monde – 2 novembre 2004
Installé depuis trente ans aux Bouffes du Nord, le metteur en scène britannique fête cet anniversaire avec trois spectacles qui sont autant de volets d’une même réflexion sur la religion, la connaissance et l’intolérance.
EN CETTE ANNEE 1974, Peter Brook revient de voyage. Il est sur les routes depuis trois ans, avec son Centre International de recherches théâtrales : France, Afrique, Amérique. Avec ses acteurs venus des quatres coins de la planète, ils ont joué dans des foyers d’immigrés en banlieue et dans des bidonvilles à Paris, au Festival de Chiraz, en Iran, et dans les ruines de Persépolis, au fin fond du Sahara et sur des places de villages au Mali ou au Nigeria, chez les Chicanos à la frontière mexicaine et dans une réserve indienne, dans les rues du Bronx ou de Brooklyn, à l’hôpital Sainte-Anne à Paris et en entreprise à Jouy-en-Josas, dans des garages ou des salles de cinéma à l’abandon, un peu partout…
Pendant ces trois années, Peter Brook n’a cessé d’avancer dans sa réflexion sur ce qu’est un espace théâtral :comment se créer le lien avec le spectateur ? Comment éviter la coupure entre le lieu clos du théâtre et le dehors, la vie la « vraie » vie ? Lui, le metteur en scène britannique déjà archi-célèbre à la fin des années 60, l’ex directeur de la vénérable Royal Shakespeare Company, a tourné le dos au théâtre « bourgeois » pour éprouver le plein air et les « non-lieux » du théâtre.
« Puis, raconte aujourd’hui Peter Brook, assis sur une banquette de « son » théâtre, devant le beau décor – un mot qu’il déteste – de Tierno Bokar, nous nous sommes rendu compte qu’il nous fallait un lieu pour mettre à profit toutes ces recherches menées pendant trois ans. Il nous en fallait un pour être à l’abri du froid, de la pluie. La réflexion que je menais, toujours influencée par le théâtre élisabéthain, sur le rapprochement entre le spectateur et l’espace de jeu, sur l’intimité de la relation, me ramenait vers un lieu fixe. Mais je ne voulais plus d’un théâtre classique, avec sa coupure entre la scène et la salle. »
Un jour, Micheline Rozan, qui codirige avec lui le Centre de recherches – et dirigera les Bouffes du Nord jusqu’en 1996 -, entend parler d’un théâtre abandonné derrière la gare du Nord. « Nous avons sauté dans une voiture, et nous sommes allés voir, racontent les deux complices. Mais arrivés à l’endroit indiqué, au coin du boulevard de La Chapelle et de la rue du Faubourg-Saint-Martin, point de théâtre. Il y avait juste, entre un café et un magasin de farces et attrapes, une sorte de palissade : nous l’avons soulevée, avons rampé dans une sorte de tunnel, et là, nous avons débouché dans le théâtre : il pleuvait à l’intérieur, la coupole était en ruine, les murs et le sol calcinés, car de nombreux clochards y avaient élu domicile et faisaient du feu. »
Peter Brook tombe amoureux : il voit dans ce lieu la synthèse de tout ce qu’il recherchait. Un théâtre installé dans un quartier populaire et cosmopolite, porteur d’une histoire, d’une mémoire inscrite sur ses murs comme sur une peau, sensible dans l’air, dans l’atmosphère, comme si toute cette histoire était restée emprisonnée, dans les particules de lumière qui filtrent de la coupole défoncée. « Les proportions, aussi, sont extraordinaires, uniques en Europe, ajoute Peter Brook. Nous avons découvert plus tard qu’elles étaient les mêmes que celles du Théâtre de la Rose, l’un des deux théâtres de Shakespeare à Londres… »
« Regardez : ne dirait-on pas à la fois une cour, une mosquée ou une maison ?, demande Peter Brook depuis les cintres, où il nous a entraînée. Les Bouffes sont vraiment l’espace-caméléon dont je rêvais, un espace à la fois intérieur et extérieur, qui stimule et libère l’imagination du spectateur, un espace où un partage est possible, ainsi que la concentration qu’exige le théâtre : car le théâtre, ce n’est rien d’autre qu’une expérience humaine plus concentrée que celles que nous avons coutume de vivre dans la « vraie » vie. »
LES APACHES, LES MARLOUS
L’histoire de la salle, aussi, passionne Peter Brook : quand les Bouffes ouvrent, en 1876, La Chapelle est un quartier de grande périphérie, à la lisière des champs : « à l’époque, le quartier était très dangereux : il était occupé par les apaches, les marlous et les gigolettes, sourit le metteur en scène. Aujourd’hui il est devenu le quartier indien de Paris – des Indiens, que par une sorte de coïncidence magique, nous avons vu arriver au moment du Mahabharata, en 1985… » Au cours de leur histoire mouvementée, les Bouffes, qui proposent un répertoire de caf’conc’ pour un public indiscipliné et bruyant, qu’il faut parfois faire évacuer par la police, verront aussi l’anarchiste Louise Michel jouer une pièce révolutionnaire, et le metteur en scène Lugné-Poe créer, à la toute fin du XIXe siècle, plusieurs des grandes pièces de Henrik Ibsen, dans des décors peints par Edouard Vuillard : Rosmersholm, Un ennemi du peuple, Solness le constructeur… Le théâtre est à nouveau fréquenté par la police en 1873, pour les représentations d’Un ennemi du peuple : les autorités trouvent la pièce subversive. Puis les Bouffes deviennent, jusqu’à leur fermeture en 1952, une salle où alternent spectacles de music-hall et de boulevard.
Mais revenons à cet été 1974 : Peter Brook et Micheline Rozan décident de rouvrir le théâtre, avec l’aide de Michel Guy, qui dirige alors le Festival d’automne et a demandé à Brook « un grand Shakespeare ». Le tandem décide surtout de laisser le théâtre – presque – en l’état : « nous avons fait les travaux nécessaires en un temps record – trois mois et demi -, mais nous avons voulu garder la « beauté des ruines, ce qui n’a pas toujours été facile, s’amuse Micheline Rozan. Il a souvent fallu résister aux « rénovateurs » de tout poil… » Résister pour garder ces murs craquelés, calcinés, longtemps gris, jusqu’au Mahabharata, puis patinés d’un rouge Pompéi, mais toujours à vif, écorchés.
Le 15 octobre 1974, le Théâtre des Bouffes du Nord rouvre avec Timon d’Athènes, une pièce méconnue de Shakespeare, dans une mise en scène de Peter Brook. Les acteurs, François Mathouret, Maurice Bénichou, Bruce Myers – qui accompagne Brook depuis le milieu des années 1960 -, ont répété dans les gravats. Et ce soir d’octobre 1974, pour le public comme pour la presse, c’est le coup de foudre. Il dure depuis trente ans, entretenu par des spectacles qui ont marqué plusieurs générations de spectateurs, dans cette extraordinaire « mosquée » à la beauté louche et décatie : Carmen, la Cerisaie, le Mahabharata, La Tempête, L’Homme qui, Hamlet… Du théâtre tissé avec les fils de la vie, cette vie que Peter Brook n’a eu de cesse d’explorer dans toutes ses dimensions, pour en extraire la quintessence universelle.
Par Jean-Pierre Leonardini © Ed. Messidor-Festival d’Automne à Paris
A cinq ans il monte un Hamlet de trois heures avec des marionnettes. Un demi-siècle après il demeure le citoyen le plus fervent de la planète Shakespeare. A vingt ans il fait ses premières armes à Stratford. Il y attrape une allergie tenace à la poussière des gloses. Précocement fêté et reconnu en son pays, la Grande-Bretagne, il se défiera sans cesse de la gloire, cette glissade. «Il y a le centre, dit-il, et la surface n’est que mode» (The surface is fashion).
Il redoute le ridicule d’époque. Persuadé de l’éphémère des formes et de l’historicité des émotions, le jeune homme brillant est progressivement parvenu, dans sa quête du «centre», à forer toujours plus avant vers un noyau dur de vérité relative. Son théâtre, aujourd’hui, tire sa puissance de conviction d’être un authentique lieu commun.
Avant d’en arriver là il accomplit l’apprentissage exhaustif des formes. Shakespeare de toutes les manières (Romeo and Juliet1947, Measure for Measure1950, Titus Andronicuset Hamlet1955, The Tempest1957, King Lear,1962…) mais aussi Anouilh, Sartre, Roussin (La Petite Hutte), Irma la douce, Vu du pont, La chatte sur un toit brûlant…En 1948 et 1949, pour Covent Garden, il ne réalise pas moins de cinq opéras (La Bohème, Boris Godounov, The Olympians, Salomé, Le Mariage de Figaro).En 1953, il met en scène Faustau Metropolitan Opera et Eugène Onéguineen 1957. Voilà un beau profil de carrière, comme on dit. Mais, justement, disant cela on n’a rien dit. Ni la grandeur des oeuvres qu’il met en scène, ni leur nombre, ni ses titres honorifiques (qu’il soit, par exemple, «Commander of the British Empire») ne peuvent rendre compte de l’exigence intérieure de Peter Brook, encore moins de l’aura qui le baigne.
Dédaigneux de toute théorie, ennemi du dogmatisme, il ne se veut qu’expérimentateur acharné. Ce pragmatique ne consent à énoncer des idées sur telle ou telle oeuvre qu’après l’avoir passée au crible de la pratique. C’est de King Leur(1962) qu’il date son chemin de Damas. «Juste avant de commencer les répétitions j’ai détruit un décor. J’avais conçu un décor en fer rouillé très intéressant et très compliqué, avec des ponts qui se levaient. J’y étais très attaché. Une nuit, je me suis aperçu que ce jouet merveilleux était sans nécessité. En enlevant tout de la maquette, j’ai vu que ce qui restait était beaucoup mieux. Tout à coup le déclic s’est opéré. J’ai commencé à voir l’intérêt d’un théâtre de l’événement direct, où le mouvement n’était pas soutenu par une image ni aidé par un contexte, l’intérêt que présentait la simple traversée de la scène par un comédien»(«Rencontre avec Peter Brook», par Denis Bablet, Travail Théâtraln°10, hiver 1973). Ainsi commence le retournement qui va l’amener à user de l’espace théâtral comme d’une page blanche pour les passions. Ceux qui ont vu ce Lear oùPaul Scofield, dans une cage de bois clair, jouait le guerrier accablé plutôt que le vieillard dément en parlent encore.
Peter Brook théorise en actes, pour ainsi dire, mais l’expérience des autres lui est un bien précieux à condition de la mettre à l’épreuve. Il écrit: «Voilà notre seule possibilité: examiner les affirmations d’Artaud, Meyerhold, Stanislavski, Grotowski, Brecht, les confronter ensuite à la vie, de l’endroit particulier où nous travaillons. Quelle est, maintenant, notre intention par rapport aux gens que nous rencontrons tous les jours ? Avons-nous besoin d’une libération ? De nous libérer de quoi ? De quelle manière ?» (dans son livre The Empty Space,l’espace vide 1968). C’est ainsi qu’en 1964 Brook donne corps au rêve d’Artaud, avec Marat/Sadede Peter Weiss. Trois ans plus tard il en fait un film, qui garde intactes la liberté brute et la violence souveraine d’un geste théâtral parmi les plus extrémistes de l’époque. En 1966, avec US, qui traite de la guerre du Vietnam, Brook aborde de front le champ politique, quoiqu’il se défende de l’étroitesse de ce mot-là. Il plaide alors pour un théâtre de la disturbance(de l’ébranlement de conscience). Mais il n’a cure d’un système. Chaque spectacle est surdéterminé dans son moment présent par la salle, la période, le pays, le mode de production qui le voient naître.
En 1970 Stratford connaît l’éblouissement du Songe d’une nuit d’été,renouvelé deux ans plus tard au Théâtre de la Ville. Se rappelant l’idée de Meyerhold de suspendre ses acteurs à des trapèzes, Brook organise une navette sublime entre le haut et le bas. A la même époque il s’entoure d’un groupe d’acteurs issus d’horizons divers. C’est avec cette microBabel dont le port d’attache est Paris qu’il va s’avancer au plus loin. En 1971, au festival de Chiraz-Persépolis, c’est devant la tombe d’Artaxerxès que s’ouvre Orghast,qui revisite du crépuscule à l’aube «dans un chaos de rochers et de sépultures archaïques» les mythes fondateurs de l’humanité, par le truchement d’un idiome d’invention empruntant à l’ancien grec, au latin, à la langue sacrée persane, l’avesta. Suit un long voyage au coeur de l’Afrique (Nigeria, Niger, Togo, Mali, Dahomey). Brook et les siens jouent dans les villages, devant un public vierge de toute référence culturelle occidentale. Les acteurs sont forcés d’aller au plus nu de l’expression. Ce périple connaîtra son effet en retour en 1975 avec Les Iks,présenté sous l’égide du Festival d’Automne. Que peut apporter un ethnologue à une tribu d’êtres dénués de tout, sauf de leur connivence intime avec l’univers ?
Mais ne brûlons pas les étapes. En 1974 Brook fonde le Centre international de créations théâtrales à Paris (C.I.C.T.). Le gouvernement français (Michel Guy alors regnansà la Culture) lui octroie l’usufruit des Bouffes-du-Nord.
On doit l’exhumation de ce théâtre oublié depuis la guerre à un maçon italo-yougoslave (son nom mérite de passer à la postérité, Narciso Zecchinel) qui maniant la truelle dans un immeuble contigu le découvrit par une brèche. En 1968 il l’acquiert avec ses économies, empêchant ainsi qu’il soit transformé en garage. Les Bouffes-du-Nord deviennent la Thébaide (ô combien courue) de Brook. Le génie du lieu réside dans son caractère rugueux préservé. Un soupir même y résonne. Sur les murs gris survivent les cicatrices du plâtre. La scène à l’italienne n’est plus. Escaliers et passerelles autorisent l’ubiquité du jeu.
Ce théâtre est aussi un lieu d’asile. Dans son «espace vide» idéal le Festival aura le loisir d’écrire quelques-unes de ses plus émouvantes aventures; des derviches tourneurs à Meredith Monk, des musiciens du Niger à Richard Foreman…
Brook, donc, nomade enfin chez lui, crée Timon d’Athènesdans le cadre du Festival 1974. Ça parle d’or, et des comportements devant le métal jaune. Au temps de l’accumulation primitive, le noble Timon pratique la dilapidation des biens tandis que ceux qui le flattent thésaurisent. Ruiné, il part au désert, vomissant Athènes. Il trouve de l’or, l’emploie au saccage de la ville. Il meurt dans l’imprécation. Timon a vécu à la folie la consumation des richesses et son rebours, la misère héroique et rageuse. Le théâtre n’a jamais crié avec autant de fureur l’anathème du misanthrope. L’humanité n’est plus qu’une tumeur maligne ou un bestiaire obscène. Timon la voue aux gémonies, prenant à témoin le Soleil et la Lune. Shakespeare fit le détour par la Grèce antique. Brook passe par un aujourd’hui mêlé d’hier et d’ailleurs: costumes actuels, «you you» des femmes, Cupidon est une sorte d’illusionniste nippon et les courtisans conviés par Timon au banquet de la vengeance, où le brouet est d’eau tiède, prendront la posture d’opprobre des marchands du temple. Apemantus, le philosophe revêche, est un Noir. Cela dote le spectacle d’une signification de plus: le cynique est devenu un damné de la terre. Par là on rejoint Les Iks,plus haut cité, avec quoi Timon…fait diptyque.
En 1977 c’est Ubu.Brook continue de resserrer ses signes, s’approchant au plus près de la table rase où danse l’acteur-roi. Une simple brique sous les pieds devient colline ou, portée à la bouche, un morceau de viande. Une énorme bobine à câbles prêtée par les terrassiers, c’est un trône, ou un château. La mise en scène a l’allure du «Kyogen», cette plage grotesque entre parenthèses dans le «Nô» tragique.
En 1978 Brook retourne à la maison-mère, la Royal Shakespeare Company à Stratford. Il y monte Antony and Cleopatraavec Glenda Jackson dans le rôle de la reine d’Egypte. Paris, la même année, a droit à son Shakespeare avec Mesure pour Mesure,en coproduction avec le Festival d’Automne. Un jeune homme engrosse une jeune fille. Il est condamné à mort par le puritain qui gouverne en lieu et place du duc absent. La soeur du coupable sort du couvent pour implorer grâce. Touché par le désir le régent passera l’éponge en échange d’une nuit d’amour. Horrifiée, la jeune fille, au nom de sa vertu, supplie son frère d’agréer le châtiment. Le duc, qui a tout vu dans l’ombre, punit l’infâme qui abusa de son pouvoir… Brook, à son habitude, dévide l’écheveau de l’intrigue, aidé en cela par l’adaptation drue de Jean-Claude Carrière, son commensal habituel. Chaque scène est un univers autonome, une pépite en soi. Au dénouement on s’aperçoit que tout a été joué; comique et tragique, populaire et aristocratique. L’opération relève de l’épure au sens propre; un dessin qui fournit l’élévation, le plan et le profil d’une figure projetée avec les cotes précisant toutes ses dimensions.
En 1979, il présente au cloître des Carmes d’Avignon un fabliau africain savoureux, L’oset un conte oriental parabolique, La Conférence des oiseaux.Ils les reprend la saison suivante aux Bouffes-du-Nord. Au printemps 1981 c’est La Cerisaie.Il lance ses interprètes dans le théâtre aux murs nus qui devient tout entier le domaine menacé. Une vieille armoire sous une housse, les tapis au sol, parfois un siège qu’on avance, cela suffit pour les biens meubles. Aux acteurs d’être tout. A l’automne, La Tragédie de Carmenarrache à l’opéra galvaudé ses parures de nouveau riche. Un drame plébéien, une rixe dans les rues chaudes; au lieu des cris on y chante… Brook ne reviendra pas en arrière dans sa quête d’une limpidité essentielle, d’un théâtre sans ombre.
Nous reverrons sans nul doute l’éclairage pleins feux et le tapis fané du conteur arabe. On ne cherche pas en vain l’ascèse. L’humanisme partageur, l’amicalité de Brook ont abouti à cette forme, le théâtre comme le jardin zen parfaite image du monde. Il dit: «Je travaille en spirale, une spirale dont le cercle ne cesse de se réduire.» Pour lui le théâtre fait partie du vivre. Cet homme au regard de marin a guidé les plus grands (John Gielguld, Laurence Olivier, Vivian Leigh) et les plus jeunes avec la même douceur inflexible. N’était que la comparaison sent trop l’hagiographie on penserait à François d’Assise. Mettons Gurdjieff, dont il a tourné Rencontres avec des hommes remarquables.
Source : «Festival d’Automne à Paris 1972-1982»
Jean-Pierre Leonardini, Marie Collin et Joséphine Markovits
Ed. Messidor/Temps Actuels, Paris, 1982, p. 59-61
© Ed. Messidor-Festival d’Automne à Paris
© Libération, 30 nov. 2000. Read more
Peter Brook raconte: «Un soir, à la fin du spectacle, je regardais le décor de l’Homme qui (prenait sa femme pour un chapeau). Je voyais cette plate-forme avec quatre chaises et une table qui ne racontaient absolument rien. C’était simplement un lieu théâtral. Et je me suis dit, je ne sais pas pourquoi: mais c’est tout ce qu’il faut pour Hamlet.»Par Nicolas Roméas © www.lespetitsruisseaux.com
Peter Brook nous a fait l’amitié, en compagnie de Marie-Hélène Estienne, adaptatrice des trois spectacles sud-africains qui se jouent actuellement au Théâtre des Bouffes du Nord(1), de converser avec nous sur des thèmes essentiels: Comment et où faire du théâtre en dehors des cadres rigides qui en tuent la vitalité ?
Cassandre : Vous avez réussi, aux Bouffes du Nord, à faire abstraction des murs pour retrouver cette sensation de ce que vous appelez «holy theatre»(2), c’est-à-dire un lieu à la fois hors des cadres temporels et de l’espace précis où il est circonscrit, et en même temps suffisamment central pour que les questions se posent de façon intime à chacun. On ressent quelque chose de très particulier lorsqu’on entre aux Bouffes du Nord. C’est un théâtre, non une «friche» ou un lieu désaffecté dans lequel on ferait du théâtre, et pourtant ce subtil décalage y existe…
Peter Brook : Il y a un immense secret, caché dans l’un des mots les plus simples qui soient; «relation». Tout est question de relation, entre une chose et autre, entre deux personnes… S’il n’y a pas de relation, la vie n’est pas là, s’il y a une relation, c’est vivant. Malheureusement, lorsque les structures sociales deviennent non seulement sclérosées, mais fixes, la relation humaine est remplacée par d’autres types de relations.
Lorsqu’on demande à un architecte de construire un théâtre, ce qu’on attend de lui, c’est un bâtiment où soient possibles les relations qui font la vie d’un théâtre. Celle qui passe par l’accès du public, sa sortie, la relation entre le tarif et la quantité de public, la relation de visibilité, la relation au confort – entre fesses et surface… Lorsque vous allez dans un théâtre, n’importe où, vous devez assumer des milliers de relations, déjà inscrites dans le lieu, mais la relation humaine y est rarement la priorité. Souvent, on y va pour l’événement, en dépit du manque de relation humaine.
La découverte des Bouffes du Nord n’a pas été due au hasard: c’était la suite des trois ans d’exploration, en Afrique et ailleurs, avec le Centre International de Créations Théâtrale. Nous avons d’abord fait des centaines d’improvisations dans des lieux de la région parisienne qui n’avaient jamais été utilisés pour des spectacles. Dans des foyers pour immigrés, des écoles, avec des handicapés, dans des hôpitaux, des prisons. L’expérience consistait à aller dans un lieu ingrat et essayer de comprendre quelle est la condition fondamentale pour transformer un lieu qui n’est pas conçu pour le spectacle…
Nous agissions de façon pragmatique. Nous regardions l’endroit, et nous disions: «Ah, il y a des chaises… elles sont horribles… Cette salle des fêtes est abominable! Essayons de disposer les places différemment, mettons un petit tapis, des coussins par terre.»
Puis nous sommes allés en Afrique et nous avons constaté que, n’importe où, on pouvait mettre un tapis et avoir des gens assis autour. La condition fondamentale était de commencer par la relation humaine qui crée un lieu immédiat, d’emblée. Après ces trois ans d’expérimentation et de voyage, il nous fallait une base professionnelle pour accueillir les gens. Nous avons trouvé les Bouffes du Nord, à l’abandon. J’ai vu ce théâtre en ruine, des ruines qui nous parlaient… Tout était cassé, mais on s’est dit qu’on pouvait arranger ça, qu’on n’avait pas besoin des structures habituelles, d’un accueil compliqué, qu’on pouvait aller directement de la rue au café et du café à la salle. C’est une sorte de théâtre de boulevard de banlieue, construit comme une mosquée. C’est un principe d’architecture qu’on ne trouve nulle part ailleurs, ce demi-cercle. Nous avons pensé que là, nous avions l’essentiel… Nous n’avons presque rien changé. Nous avons rempli certains trous et refait le toit, pour la pluie… L’objectif était de rendre possible une relation humaine. C’est la question numéro un.
Que pensez-vous du large mouvement qui commence à frémir dans notre pays, celui d’un retour du théâtre itinérant, d’une attention nouvelle portée à des expériences qui aujourd’hui s’appellent, par exemple, Théâtre de l’Autre, des gens qui vont travailler dans les hôpitaux psychiatriques, les prisons, etc., pour y être utiles et retrouver la vitalité, la nécessité du théâtre?
Pour faire du théâtre, on doit accueillir la contradiction. C’est la base de toute bonne pièce. Il y a quelqu’un qui dit «oui» et quelqu’un qui dit «non». En tant que spectateur, on est dans une situation inédite: on est avec les deux. On peut trouver la même vérité dans la négation de ce qui vient d’être affirmé. Pour cette raison, on ne peut être dogmatique sur le théâtre. Au moment où l’on dit: «Les institutions actuelles, les structures ont un sens», il faut que quelqu’un dise: «Mais c’est de la merde, c’est pas vrai!» Et au moment où quelqu’un dit: «Tout ça, c’est de la merde!», il faut se dresser et dire: «Non, tout n’est pas de la merde.» En Angleterre, les meilleurs acteurs, mes amis Laurence Olivier, Guiness, John Gielgud, jouaient souvent une pièce comique grand public au lendemain d’une pièce difficile… C’est la vie d’un théâtre toujours en mouvement. Ce qui compte c’est la qualité, la vitalité des événements. Il y a un critère qu’on ne peut définir mais qu’on peut sentir: «Est-ce que la vie y est, ou pas?» Le théâtre, il faut le goûter avec la langue. Si, dans l’événement même, la vie est là pour ceux qui le font et ceux qui le regardent, à ce moment-là, c’est du théâtre. Il ne suffit pas que la théorie soit impeccable. Comme durant ces années où, pour des raisons politiques, on montait des pièces de Brecht dans une communauté qui n’en voulait pas – sa nécessité était défendable en théorie, mais c’était monté d’une manière aride, la vie n’y était pas. C’était «indéfendable» à côté de la pièce comique la plus idiote, mais qui était totalement vivante.
Il faut toujours chercher la contradiction. Juste avant les années 60, je disais qu’il fallait: «que le théâtre soit expérimental, et qu’il fallait accepter le risque d’avoir des théâtres vides. Je disais: «il faut traverser ça pour avancer. Il faut subventionner des expériences audacieuses et exigeantes». Mais, quand on dit ça, on dit aussi le contraire: le théâtre sain et vivant est un théâtre où va un public qui se bat pour le voir. Et les deux vont ensemble. Il fallait attaquer le fait que la réussite, commerciale – comme à la télé – est ce que l’on met en avant, et que beaucoup de gens sont prêts à aider le jeune théâtre, à la condition que l’»audimat» soit favorable. Il faut tout faire pour soutenir ceux qui ont un public et accepter toutes les expériences qui ont une vraie exigence, même si elles échouent. Les deux doivent coexister. Le critère, finalement, c’est la qualité de vie qui traverse ça. C’est pourquoi il faut créer des bâtiments et les détruire, tout le temps.
Vous avez écrit sur un théâtre «fait pour et par une communauté». Nous en avons un exemple avec l’actuelle programmation sud-africaine des Bouffes du Nord. Cette préoccupation appliquée à notre civilisation, à nos sociétés modernes, se trouve souvent en porte à faux…
Les sociétés traditionnelles, où existait cette relation, sont des modèles et des exemples extraordinaires. Mais, dans notre société urbaine, nous savons que la communauté est ce drôle de mélange de gens qui, par hasard, passent la porte du théâtre et se trouvent assis là… C’est une communauté aléatoire établie par les présences de ces gens à ce moment précis.
J’ai essayé, dans les années 60, de cultiver un certain public. Mais, dans une grande ville, il faut accepter tous ceux qui viennent à la porte et, plus les prix sont bas, plus les publics sont mélangés. Si on accepte cela, on voit que le rôle de tous ceux qui jouent est de trouver dans l’immédiat – c’est pour ça que ça commence avec le bâtiment, l’accueil, etc. – les meilleures conditions pour que, pendant le spectacle, une possibilité soit créée.
Pour qu’on s’intéresse à une histoire, il faut qu’elle soit spécifique, on ne peut pas raconter des histoires vagues. «Il y avait un bonhomme n’importe où qui faisait n’importe quoi»: personne ne demande la suite. Ce qui donne de l’intérêt à quelque chose, c’est que ce soit à la fois inattendu, donc très lointain, et qu’en nous touchant, cela devienne proche.
Nous ne connaissions pas l’Afrique du Sud. C’était une aventure, c’était loin. C’était plus excitant que d’aller à Bobigny. Une fois là, à l’intérieur de ce qui n’était pas familier, ça nous est devenu de plus en plus proche. Les éléments qui nous touchent sont des éléments qui ne sont pas familiers; ça a une autre forme, un autre parfum, une autre silhouette, et au moment où le goût est touché par la langue, ça devient tout à fait familier. C’est ce qu’on trouve par exemple avec Le Costume.
La démarche serait de créer une forme de théâtre qui ait la force du rituel archaïque, tout en étant destinée à tout le monde…
Il n’y a pas d’a priori, les gens sont tels qu’ils sont. Si on fait un petit débat avant: «Y-a-t-il, parmi vous, des chrétiens, des bouddhistes, des athées, etc.?» on ne trouvera rien. Il faut une action suffisamment efficace, partagée par les acteurs, pour que, peu à peu, à l’intérieur du spectacle, tous ces gens soient ramenés à un point où, subitement, pour une seconde, ils s’ouvrent comme une vraie communauté. La seule chose qui compte dans le théâtre européen, c’est la relation humaine. C’est ainsi qu’on traverse les barrières. On peut faire une ou deux actions pour essayer de tomber certaines barrières, mais elles se dressent à nouveau. Toute action où des cloisons sont montrées comme étant des éléments anti-vie, anti-humains, est saine. Le théâtre existe pour rendre ça possible, par exemple être ensemble avec des handicapés et reconnaître que ce sont des êtres humains à part entière.
Marie-Hélène Estienne : Je suis frappée par le côté lointain, apparemment infranchissable de l’apartheid, de tout ce qu’on raconte là-bas, de la politique. C’est tout à fait franchissable. C’est une vraie découverte de découvrir que ce qu’un croit très différent n’est pas différent: on peut partager ça. À travers la souffrance, ou parfois, le bonheur. Mais la clé, c’est une certaine douleur – qu’on connaît ici très bien.
Peter Brook : Ceux qu’on appelle «eux», c’est nous.
Dans cette programmation sud-africaine, quel est le lien avec votre attirance pour l’Afrique, pour ce qui y subsiste d’un sens partagé par le groupe?
Depuis le début de notre Centre, nous travaillons ensemble avec des gens de cultures,d’attitudes, de religions, de backgrounds, d’horizons différents. Le point commun avec l’Afrique c’est cette immense richesse traditionnelle. Malgré toutes les différences, c’est un continent traditionnel, et les traditions nourrissent encore toutes sortes de choses. Nous avons joué Le Costume à Johannesburg. Sotigui Kouyaté dit qu’en Afrique, partout où il va, malgré les formes urbaines de la fin du XXème siècle, la tradition n’est pas complètement perdue, dans la générosité des gens, leur manière d’être, dans la musique.
Marie-Hélène Estienne : Nous avons fait un «workshop» là-bas, avec de jeunes metteurs en scène. Chaque fois qu’ils donnaient des références à leur propre personne, ils citaient leur grand-père, leur grand-mère, surtout… Il y a une vraie tradition orale qui n’est pas du tout détruite. Ils ont tellement d’ethnies différentes, c’est très riche. Et ce qui m’a le plus surpris c’est que leur tradition, c’est Grotowski. Ils avaient tout lu, mieux que nous. Ils ont reçu, sous le manteau, les livres de Grotowski, de Stanislavski, et de Peter. Ce sont parfois trois lignes qui permettent de faire du théâtre.
Peter Brook : La leçon de Grotowski : l’instrument unique, c’est le corps. S’il y a cette qualité, ce théâtre total qui est le corps, alors peu importe où, on n’a pas besoin de lumière, de costumes, de scène.
Le théâtre véhicule certaines valeurs et disciplines qui ne se transportent plus beaucoup en dehors de lui. On peut être appelé par ces valeurs en dehors d’un contexte professionnel…
Le vrai but pour tous ceux qui font du théâtre, c’est de tenter de faire continuellement le lien dans les deux sens entre la vie et l’intérieur du bâtiment où ils travaillent. La tragédie du théâtre pendant plusieurs siècles a été cette séparation absolue entre scène et public. Le résultat est que, lorsque l’acteur rentre chez lui, même s’il a joué le rôle le plus riche, il n’en garde en lui aucune trace et, vingt ans plus tard, ce qu’il amène au théâtre n’a pas été nourri par ses expériences.
Prenez John Kani et Winston Nsthona, les deux merveilleux acteurs sud-africains de The Island; ils pourraient accréditer la légende que les Noirs sont doués pour le jeu, parce qu’ils ont une ouverture naturelle, ils ont des corps, de l’humour… Mais ce sont de grands artistes, il ne s’agit pas d’un art naïf, intuitif. Ce sont des êtres merveilleux dans la vie et de très grands acteurs. Ils improvisent comme toute personne dans la rue peut improviser, mais en même temps le don a été cultivé au point qu’ils sont dans la catégorie des grands artistes internationaux. John et Winston sont l’exemple de cette absence de séparation entre les expériences, les souffrances, les luttes, les combats, la tendresse, la compassion, tout ce qu’ils ont dans la vie.
C’est à la fois du «théâtre brut»(2) et du «holy theatre»…
Ça passe directement dans le travail sur scène, mais le fait de jouer ces pièces a fait d’eux des êtres humains plus riches, plus ouverts, et des citoyens plus utile,s grâce à ce travail très difficile. Ils ne sont pas bloqués par la recherche d’une satisfaction personnelle: ils se sentent porte-parole des questions d’une communauté humaine.
Mais quand ce théâtre-là, ce théâtre «militant», même s’il est en même temps «holy», se produit dans son propre pays, c’est tout à fait différent, non?
Marie-Hélène Estienne : Maintenant, cette forme se développe, parce qu’elle a eu du succès, et elle n’est plus aussi valable, hélas.
Peter Brook : Le théâtre Campesino a commencé en Californie lors des grandes grèves des farm-workers, monstrueusement mal traités, exploités dans les fermes. Certains n’osaient pas faire la grève, trop pauvres, trop intimidés, d’autres disaient: «Notre seule espoir, c’est la grève». Dans le syndicat, il y avait des gens très doués pour le jeu, comme en Afrique du Sud, qui sont allés dans les champs et ont fait des improvisations, pour encourager les non-grévistes à rejoindre leurs camarades. Pendant deux ans, ce fut très efficace. Comme les gens étaient très doués, pleins de talent, d’énergie, d’humour, ils sont devenus une troupe permanente, qui faisait des pièces militantes d’une qualité extraordinaire. Mais comme ils avaient en eux un sang espagnol, mexicain et indien, ils s’ouvraient aussi sur des traditions religieuses, ils faisaient des choses remarquables. Maintenant, le temps passe, et peu à peu c’est devenu une «formule».
Parfois, devant des compagnies ou des équipes artistiques qui font un travail courageux dans des «lieux de difficulté»: prisons, hôpitaux, quartiers difficiles… il m’arrive de dire, pour montrer la valeur de ce travail: «Ce n’est pas très éloigné de la démarche de Peter Brook, dans le fond, il faut voir ça autrement qu’avec l’ancien regard de mépris porté sur le socio-cul». Etes-vous d’accord pour faire le lien?
Bien sûr !
Donc, la difficulté nous aide ?
Et comment !
(2) Termes employés par Peter Brook, dans son ouvrage L’Espace vide, (éd. du Seuil), pour qualifier le théâtre «sacré» et le théâtre «populaire».
(1) Siswe Bansi est mort de Athol Fugard, John Kani, Winston Nshtona, avec Thierry Ashanti et Alex Descas, adapt. Marie-Hélène Estienne, ms Peter Brook. Du 2 mars au 1er avril 2000.
5 November 1993, Olivier Theatre – Introduced by the National’s Executive Director, Genista McIntosh
Genista McIntosh: A lot of years ago, when I was a child, I went to Stratford and saw a production of King Lear which completely changed my sense of what the piece could be. And in a sense it changed my life because it made me see that the theatre was a potential way of life. Some years later I saw a production of A Midsummer Night’s Dream at the Aldwych Theatre, which also changed my life because the following year, going to work for the RSC, my first assignment was to work with the man who directed that production when he re-directed it for a world tour. I think probably in this audience and many thousands of miles from here on outwards, there are people who in some way would be able to tell you a similar story about how Peter Brook has touched or influenced or affected their lives. It’s a very great privilege to introduce him. Read more
Source : «Le Festival d’Automne de Michel Guy»
Guy Scarpetta. Editions du Regard, Paris, 1992, p. 157-158
©Festival d’Automne à Paris
Qu’est-ce que le théâtre de Peter Brook ? Un art totalement prémédité, ou une somme d’improvisations ? Un sommet de la modernité, ou un recours aux formes les plus archaiques, les plus immémoriales ? Une pratique «zen», où l’intensité procède de l’économie et de la concentration, ou un foisonnement exubérant, élisabéthain ? L’aboutissement d’une quête spirituelle, ou celui d’une incessante attention à la matière, y compris ses formes les plus frustes, les plus élémentaires ? L’incarnation d’une vision unique, ou la somme d’un travail collectif ? Tout cela à la fois, sans doute: et c’est ce qui fait de Brook le créateur le plus immaîtrisable qui soit.
Je ne sais pas pourquoi je l’ai toujours, plus ou moins consciemment, associé à Rabelais. Peut-être parce que le seul entretien que j’aie eu avec lui (c’était à l’occasion de Timon d’Athènes,de Shakespeare, le premier spectacle de lui que le Festival d’Automne ait présenté) se situait (j’ai oublié pourquoi) dans le théâtre que dirigeait Jean-Louis Barrault, et qu’un immense portrait de Rabelais nous surplombait. Mais peut-être, surtout, parce qu’il y avait, à ce moment-là, dans la façon dont il m’avait parlé de Shakespeare, quelque chose qui m’avait fait rêver à ce monde instable, proliférant, où les dogmes et les orthodoxies s’effondrent, et où surgit une émulsion des corps, de la pensée, que rien n’est encore venu canaliser, – le monde de Shakespeare, de Cervantès, de Rabelais, – celui-là même que Brook, aujourd’hui, ne cesse de ressusciter…
Je retrouve ce qu’il m’avait dit, à l’époque:
«L’analyse, au théâtre, n’est pas coupée schématiquement de l’engagement du corps, du sentiment, et c’est cela tout le travail. On cherche quelque chose, on le goûte, on l’essaie, on tente d’en tirer des conclusions. Mais ce ne sont pas deux étapes distinctes. L’analyse cérébrale (cérébrale, pas intellectuelle, car l’intellect n’est qu’un petit coin du cerveau) donne une série de schémas, mais qui entrent dans une matière complexe, et dense… Le pauvre petit cerveau ne peut pas aller très loin, il ne peut foncer dans le tunnel que jusqu’à une certaine distance, et puis il se rend compte qu’il ne sait pas comment faire pour aller en profondeur, et c’est seulement la rechercheorganique de cet instrument étonnant qu’est le comédien qui peut créer plus loin. C’est pour cela que le metteur en scène ne peut pas arriver à des conclusions réelles avant de commencer les répétitions… La qualité de l’étude active est inséparable de la qualité de ce que sont, individuellement et collectivement, les comédiens… Le développement de la compréhension, et celui de l’ouverture, de la sensibilité, de l’imagination de l’acteur, sont inséparables. Et dans un travail collectif, le travail est à chaque instant le reflet de la compréhension collective…»
Je l’écoutais, légèrement ébahi de l’audace tranquille avec laquelle il prononcait ces mots, si radicalement opposés à ce qui dominait, en cette période, le théâtre: l’intellectualisme «brechtien», la tyrannie des «dramaturges»…
Il a continué:
… Si l’on prend le théâtre dans le monde entier, dans toute la richesse de son histoire, on voit que le «théâtre d’auteur» n’est qu’un courant de quelque chose qui a de multiples formes, rituelles, spontanées, etc. Mais l’une des formes les plus riches du théâtre a été la forme populaire, où tout part de l’événement, ou de la réalité d’un groupe de personnes qui se réunissent sur la place publique, et quelque chose commence à se faire. Si l’on prend une vue très large, comprenant le théâtre africain, le théâtre oriental, on peut dire que c’est ça la tradition… Alors que depuis que le théâtre d’auteur a commencé, la présence de l’auteur a immédiatement imposé celle d’un «point de vue «, et finalement l’auteur a imposé son point de vue; et le bon metteur en scène a imposé son point de vue (peut-être contre celui de l’auteur); et le bon comédien a imposé son point de vue (avec ou contre le metteur en scène); et le bon théâtre total, c’était lorsque tout cela allait ensemble. Eh bien, Shakespeare représente un cas presque unique, non pas de «point de vue «, mais du théâtre de l’événement… C’est comme si quelqu’un voyait du théâtre d’improvisation sur les places publiques, puis percevait que ça ne peut pas aller très loin parce qu’ils n’ont pas le matériel suffisant, et tentait de donner à chaque instant aux acteurs des éléments plus intenses, mais sans imposer son «point de vue». Ce n’est plus l’»auteur», on devrait trouver un autre nom…»
Voilà. Et cela, finalement (ces sources populaires réactivées, ce décentrage des points de vue, cette confluence dans une oeuvre d’éléments multiples, carnavalesques, impossibles à unifier sous une seule vision) – ce n’était pas si loin de Rabelais…